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L'identité coopérative aujourd'hui - Entretien avec Martin Lowery

28 Sep 2020

Qu’est-ce que signifie l’identité coopérative et quelle est sa pertinence à l’heure actuelle ? Nous avons interrogé Martin Lowery, le président du Comité sur l’identité coopérative de l’ACI, pour qu’il nous explique comment l’adoption de l’identité et des valeurs coopératives peut contribuer à la résolution d’une partie des principaux problèmes contemporains. M. Lowery, qui est engagé dans le mouvement coopératif depuis plus de 30 ans, a occupé les fonctions de président de la Banque coopérative nationale (National Cooperative Bank, NCB) et de vice-président honoraire de l’Association nationale des coopératives de fourniture d’électricité en zone rurale (National Rural Electric Cooperative Association, NRECA).

Vous êtes engagé dans le mouvement coopératif depuis longtemps. Qu’est-ce que signifie l’identité coopérative pour vous ?

Les entreprises coopératives ont, au même titre que tous les individus, une identité, une identité qui leur appartient. Les coopératives sont des structures qui sont dirigées par des personnes ou par leurs membres, et en tant que membres, vous en êtes les propriétaires. Vous pouvez avoir une influence sur les orientations de ces structures et sur les services qui sont fournis, car ce modèle offre la possibilité de devenir propriétaire et place l’individu au centre de ses choix.

Pensez-vous que l’identité coopérative peut nous aider à résoudre certains problèmes planétaires tels que la pandémie actuelle ?

Plusieurs aspects de cette pandémie rendent le modèle de l’entreprise coopérative bien plus pertinent. Prenez par exemple les valeurs qui sont énoncées dans la Déclaration sur l'identité coopérative, notamment l’entraide et la responsabilité personnelle. Nous constatons plus particulièrement dans la situation catastrophique dans laquelle nous nous retrouvons à l’échelle mondiale que tout est une question d’entraide et de responsabilité personnelle. Il ne s’agit pas seulement de se protéger, mais aussi de trouver des solutions, telles que les règles de vie en société qui sont si indispensables pour freiner au maximum la transmission du virus. Les valeurs coopératives – entraide, responsabilité personnelle, démocratie, égalité, équité et solidarité – y ont toute leur place. Voyons-les comme des leviers qui nous aideront à surmonter cette pandémie et commençons à réfléchir à quoi le monde pourrait ressembler lorsque nous aurons traversé cette épreuve. Je pense en particulier aux plateformes numériques qui sont si indispensables pour communiquer les uns avec les autres.

Pourquoi est-ce que les valeurs coopératives sont si importantes ?

Elles sont propres aux coopératives.  Si vous ajoutez aux valeurs citées l’éthique fondée sur l'honnêteté, la transparence, l'altruisme et la responsabilité sociale, vous avez des valeurs qui peuvent et devraient être partagées par tous les êtres humains, mais les valeurs coopératives en elles-mêmes sont propres aux entreprises coopératives et sont dans leur ADN. Ces valeurs font effectivement partie des fondements de nos principes de gouvernance et de gestion et guident nos choix en matière de mobilisation et de participation des membres de nos coopératives.

Qu’est-ce que les coopératives peuvent faire pour promouvoir les valeurs coopératives auprès de leurs membres ? 

Le cinquième principe coopératif englobe l’éducation, la formation et l’information. Il vise toutes les coopératives qui, à mon avis, s’en sortent très bien dans ce domaine. Il est formidable que les coopératives accordent la plus grande priorité à la formation continue ainsi qu’à la communication d’informations en toute clarté. Cela vaut également pour l’ACI. 

De plus, le sixième principe – la coopération entre les coopératives –, en complément du cinquième principe, est central dans l’action de l’ACI. Regardez le réseau international des coopératives, qui connaît une application concrète aujourd’hui face à cette pandémie. Les coopératives échangent beaucoup d’informations entre elles à l'échelle mondiale, ce qui contribue à une meilleure information des parties prenantes et, espérons-le, à une véritable mobilisation pour surmonter cette épreuve de manière collective.

Le septième principe – l'engagement envers la collectivité – est une dimension centrale qui est liée à la qualité de vie dans notre environnement local. Prenons l’exemple de l’économie inclusive, qui vise tous les individus à l’échelle locale, sans distinction de race, de sexe, etc. Les coopératives tirent parfaitement leur épingle du jeu dans ce domaine. Il y a une expression qui dit que nous devons penser à l’échelle locale et agir à l'échelle mondiale, mais vous pouvez aussi l’inverser en pensant à l’échelle mondiale et en agissant à l'échelle locale. C’est exactement cette approche qui s’applique dans la lutte contre les changements climatiques : vous devez penser aux répercussions mondiales des émissions de CO2 et d’autres gaz à effet de serre, mais agir à l’échelle locale pour parvenir à les réduire. Il y a donc une réflexion qui possède une dimension mondiale dans l’action pour le climat. Elle se traduit par des actes de dimension locale qui sont assumés par des personnes coopératrices engagées dans la lutte contre les changements climatiques. La politique climatique consiste à penser à l'échelle mondiale, mais l’action pour le climat se traduit par un engagement concret à l’échelle locale.

Comment est-ce que l’ACI a évolué ces dernières années pour répondre aux besoins du mouvement coopératif ?

J’ai eu la chance de devenir ami avec Ian MacPherson de l’Université de Victoria. Avant sa disparition, il a joué un rôle central dans la finalisation de la Déclaration sur l'identité coopérative, en mettant l’accent sur la façon dont les valeurs définissent les principes coopératifs. J’ai appris beaucoup de choses avec lui, notamment que les principes évoluent. Les valeurs sont plus immuables et imprescriptibles, mais les principes peuvent et doivent changer. En 25 ans, c’est-à-dire depuis la codification de ces principes et de ces valeurs, nous avons uniquement ajouté le septième principe et nous avons rassemblé tous les principes à ce moment-là. Nous avons envisagé à plusieurs reprises depuis cette date d’ajouter un huitième principe ou de modifier les sept principes existants. Nous devrons engager cette démarche, conformément à la volonté de M. MacPherson. Au fur et à mesure de l’évolution du mouvement coopératif, nous verrons émerger de nouvelles problématiques et idées qui devront être abordées. 

Nous nous demandons encore si nous devons créer un huitième principe portant sur un environnement durable ou, à un autre niveau, sur la diversité, l'équité et l’inclusion. Ces débats vont perdurer, mais lorsque nous échangerons, nous devrons reconnaître que les principes en eux-mêmes ne sont pas immuables et qu’ils peuvent changer et être modifiés.

Que faut-il faire pour bâtir un socle propice à l’essor du mouvement coopératif ?

Le Comité des principes de l’ACI, auquel a succédé le Comité sur l’identité coopérative, a publié des notes d’orientation pour ces principes coopératifs. Je conseille à toutes les personnes coopératrices qui assument des responsabilités, qu’elles soient membres du comité de direction, cadres ou employés, de consulter ces notes d’orientation et de s’interroger sur leur représentativité exhaustive du monde tel que nous le connaissons aujourd’hui. Je pense qu’elles répondraient que cette image n’est pas tout à fait représentative. Nous devrions utiliser de nouvelles formules davantage représentatives du mouvement coopératif et des évolutions dont nous sommes témoins. Nous observons un essor important des coopératives de travail associé qui existent sous plusieurs formes. Dans certains cas, elles ont un lien avec les syndicats et dans d’autres cas, il s’agit de coopératives de plateforme qui sont détenues par des artisans ou par des membres de professions libérales, tels que des avocats. En raison de l’émergence de ce type de nouveaux phénomènes, nous devons commencer à envisager ces principes comme des caractéristiques qui évoluent dans le temps. Pour y parvenir, nous devons impérativement organiser des débats à l'échelle des coopératives locales pour veiller à ce qu’elles comprennent véritablement les valeurs et les principes coopératifs et leur donnent une application concrète.  Beaucoup de coopératives dans le monde accordent davantage d’attention à l’incarnation des valeurs plutôt qu’à l’incarnation des principes. Nous avons donc besoin d’une dynamique pertinente à cet égard. Beaucoup de coopératives communiquent ouvertement sur les systèmes de valeurs auxquels elles adhèrent, mais elles ne s’intéressent peut-être pas assez à la façon dont les principes eux-mêmes peuvent orienter leur vision sur leur activité ou sur l’entreprise qu’elles rendent accessible à leurs membres.

Quels ont été les principaux accomplissements de l’ACI ces dernières décennies ?

En ce qui concerne l’identité coopérative, j’estime qu’il s’agit de la rédaction de la déclaration. L’ACI a réussi à la concrétiser et sans elle, il n’y aurait pas eu de Déclaration sur l'identité coopérative, car aucune autre organisation internationale n’aurait présenté ce document. Il s’agit, à mon avis, du principal accomplissement de notre organisation. J’estime également que la résolution sur la paix positive, qui a été adoptée par l’Assemblée générale à Kigali au Rwanda en novembre 2019, est un accomplissement remarquable. La paix et l’harmonie dans le monde occupent depuis le début une place centrale dans l’histoire de l’ACI. Cela peut sembler une déclaration très idéaliste jusqu’à ce que vous vous intéressiez à des exemples précis en Colombie, au Népal et ailleurs dans le monde où des coopératives ont joué un rôle non seulement dans la résolution de conflits, mais aussi dans l’avènement d’une paix « positive », à savoir l’absence de violence structurelle et l’absence d’obstacles structurels à l’amélioration de la qualité de vie de tous les membres de la population. Je crois que la résolution des conflits occupera une place fondamentale dans l’action des coopératives dans les années à venir, car nous observons une hausse importante des situations de conflit dans le monde entier. L’ACI a survécu aux Première et Seconde Guerres mondiales ainsi qu’à la guerre froide. Elle est aujourd’hui témoin de problèmes qui perdurent et qui provoquent dans certains cas des troubles partout dans le monde. Elle a bien un rôle à jouer en développant cette paix positive auprès des populations locales pour le bien de l’humanité.